Le prix Pictet 2011, « premier prix photographique d’envergure internationale dédié au développement durable », porte cette année sur le thème de la Croissance (Growth).
La qualité des photographies est incontestable. Les meilleurs photographes, les plus engagés et plus talentueux, sont dans la course. Et pourtant, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans ce bouquet final. De façon générale, l’écho avec le thème n’a pas su être trouvé. Le problème de fond ne vient pas de la démarche des photographes, mais du choix du thème lui-même. Comment aborder un thème aussi général avec des cas aussi particuliers, si pertinents et indispensables soient-ils, comme la série de Nyaba Leon Ouedraogo sur le trafic illégal de déchets électroniques, la série de Christian Als dans le bidonville de Nairobi ou encore les images de Chirs Jordan ayant déjà fait le tour du monde sur les déchets en plastiques dans les cadavres de bébés albatros ? On s’attaque à une partie et on n’atteint pas le tout. Le photographe Stéphane Couturier tente une approche d’ensemble, au travers la description schématique de la production industrielle, mais le rendu photographique est peu convaincant. Le coréen Yeandoo Jung avec la série « Evergreen tour » (photo ci-dessous) est sans doute celui qui s’approche le plus de l’impossible but. Juxtaposant des photographies des salons des habitants de la tour Evergreen, il aborde la dynamique d’uniformisation des modes de vie.
Le fait est que le terme « Croissance » n’est pas un mot rattaché au développement durable. Tel un miroir de notre société, il n’est pas porteur au-delà de la critique. Le propos du développement durable est justement de quitter le paradigme de la croissance, de cesser de raisonner « croissance », sinon pour créer une croissance différente appelée « croissance verte ».
Il aurait par exemple été préférable de partir sur un synonyme de la Croissance, appartenant d’ores et déjà à l’univers du développement durable, comme par exemple le mot Prospérité (cf. le fameux livre « Prosperity without Growth » de Tim Jackson). Il se présence justement comme l’alternative de la croissance. Ou encore plus classique mais déjà différent, le mot Développement. Cela aurait permis d’éviter une énième critique en règle de la croissance et l’impression de « déjà vu » qui émane des photographies des finalistes.
Depuis 1972, la critique la plus juste et aboutie de la croissance (rapport « Limits to Growth ») est déjà constituée. De nombreux indicateurs, observateurs, auteurs, rapports, scientifiques, ONG, intellectuels, ont déjà nourri, complèté, élargi, la critique de la croissance. Cette critique est mûre, pleine, riche. Il faut bien sûr l’actualiser. Mais plus urgemment encore, il faut s’en servir pour changer. Répéter la critique est un champ créatif limité.
Par ailleurs, dans les communications du Prix, le thème de la croissance est présenté de façon biaisée, la croissance serait, très schématiquement, bien pour le social mais pas bien pour l’environnement. Citons le communiqué de presse du Prix : « Pourtant, alors qu’elle semble nous emmener tout droit vers une catastrophe environnementale, la croissance améliore chaque jour la santé et les conditions de vie de millions de personnes à travers le monde ». Cette présentation est subjective, idéologique, incomplète, sinon fausse. Car la croissance menace aussi chaque jour la santé et les conditions de vie de millions de personnes à travers le monde. La croissance, quand elle s’empare du marché du Bio ou des énergies renouvelables, est aussi un bienfait pour l’environnement. Et elle nous emmène tout droit vers une catastrophe tout autant sociale qu’environnementale. Quelle objectivité de l’image peut être garantie si cette dernière illustre un thème d’ores et déjà orienté dans sa présentation ? Si le but était de ne sélectionner que les dimensions négatives environnementales de la croissance, alors il aurait fallu dans ce cas choisir des thèmes plus ciblés comme : « erosion », « pollution », etc.
S’il faudra attendre 2012 pour que le prix Pictet retrouve le champ lexical du thème sur lequel il se positionne, les photographies de ce Prix 2011 sont, dans tous les cas, fort belles et fort utiles.
Alice Audouin
Galerie Les Filles du Calvaire
17, rue des Filles-du-Calvaire
75003 Paris
Exposition jusqu’au 29 novembre 2010.